rouleau de prières éthiopien

Mélange entre traditions religieuses (chrétienne, juive, islamique et païenne), médecine populaire et art rituel, les rouleaux magiques éthiopiens sont autant des outils de guérison que des œuvres visuelles.

un rite ancestral

Apparus sous l’Empire aksoumite (entre le Ier et le VIe siècle de notre ère), plusieurs millions de rouleaux auraient été en usage jusqu’à encore récemment – leur utilisation semble avoir fortement diminué à partir des années 1970.

Et bien que les siècles aient passé, la forme et le principe restent toujours les mêmes : un rouleau fabriqué « sur-mesure » à la taille du commanditaire, en peau de chèvre ou de mouton, et rempli de prières et d’images talismaniques dotées de pouvoirs magiques, pour une protection de la tête au pied.

Sur-mesure jusqu’au bout, chaque rouleau était personnalisé selon des directives religieuses mais aussi astrologiques puisque le signe de la personne malade pouvait influencer les choix de talismans. Un combo d’influences assez surprenant et que seul le däbtära (sorte de prêtre laïc) maîtrise. Ayant connaissance des noms secrets de Dieu, il était le seul à pouvoir l’invoquer et le contraindre par l’écriture à venir en aide à son client.

Tout comme les égyptiens qui accordaient un pouvoir de vérité à l’écriture, le graphisme a là aussi un pouvoir à part entière : celui de protection.

En entremêlant prières, formules et représentations graphiques, le rouleau devient un véritable talisman pour :

  • Protéger la personne contre les mauvais esprits, le mauvais œil et les maladies.

  • Guérir des maux physiques ou psychiques.

  • Repousser les forces démoniaques.

  • Équilibrer le corps, l’esprit et l’âme.

Extraits du manuscrit Éthiopien 469 de la Bibliothèque nationale de France (BnF)

Le pouvoir du graphisme

L’une des prières les plus utilisées est le Filet de Salomon, qui évoque l’histoire où le roi Salomon força le roi des démons-forgerons à révéler ses sortilèges. Elle est souvent accompagnée d’un dessin talismanique en étoile à huit branches, censé piéger les démons dans ses lignes entrelacées.

Bien plus que décoratifs, les dessins talismaniques ont un rôle essentiel à jouer. Par leur forme et leur traitement, ils ont le pouvoir de renforcer les prières écrites et d’amplifier le processus de guérison.

Dépendante du choix du däbtära, l’’interprétation des images n’est pas fixe. Mais d’après mes recherches, les anges figurent parmi les motifs les plus fréquents : ils peuvent apparaître de face avec des épées, ou sous forme de visage entouré de huit ailes stylisées, et auraient pour rôle de terrasser le mal.

On trouve aussi souvent des saints à cheval, en particulier Saint Susényos, destructeur du démon Werzelya, tueur d’enfants. Son image et sa prière est donc surtout utilisée pour protéger les grossesses.

La puissance du regard

Il faut savoir que les däbtäras accordent un pouvoir à part entière au regard - étant, selon eux, source de bien ou de mal. Dans l’art talismanique éthiopien, les yeux deviennent les canaux par lesquels les démons quittent le corps :
lors du processus de guérison, les rouleaux sont déroulés, les prêtres récitent des prières, l’eau bénite est distribuée, et les images sont exposées. Le démon (incarné par la maladie) voit alors ces images à travers les yeux de sa victime humaine. Les yeux figurés sur le rouleau reflètent ce regard jusqu’à ce que le démon s’enfuie.

Ce face-à-face visuel est essentiel, car l’invocation des noms de Dieu seule ne suffit pas. Du coup, même si le propriétaire du rouleau ne sait pas lire, c’est le démon (ou l’esprit) qui, à travers les yeux de sa victime, déchiffrera le rouleau.


Un ange gardien armé d’une épée symbolisant la lutte contre Satan et les démons. Il peut être en relation avec le signe astrologique du (de la) protégé(e).

Ici, les motifs d’yeux cernés de volutes qui entourent un visage au centre forment le sceau protecteur de Salomon. Cette image proche de l’abstraction permet de lire le dessin dans tous les sens.

Les yeux grands ouverts placés en oblique indiquent que ce sceau peut se lire sans fin en passant d’un angle à l’autre - empêchant ainsi le démon d’accéder à la personne protégée.

Reproductions des rouleaux présentés au Quai Branly


conjurer le sort

Ainsi, au-delà des mots et des prières, c’est bien le graphisme qui incarne le cœur du pouvoir magique de ces rouleaux. Par la force de leurs lignes, de leurs symboles et de leurs regards figés, les images talismaniques agissent comme des vecteurs spirituels et thérapeutiques. Elles rendent visible l’invisible, traduisent l’invocation divine en langage sensible, et imposent une présence sacrée capable d’effrayer les démons. Dans un univers où le regard est action, où l’image devient incantation, le dessin n’est plus ornement, mais rempart : il soigne, protège et relie le corps humain aux forces mystiques qui l’entourent.
Les rouleaux magiques éthiopiens rappellent alors, avec une force saisissante, que dans certaines cultures, dessiner revient à conjurer.

Suivant
Suivant

le pouvoir de l’image en égypte antique